Pourquoi les salariés n’osent pas parler de leur souffrance au travail ?

par | 22 août 2025 | Santé au travail | 0 commentaires

Dans le monde professionnel, la souffrance au travail est une réalité silencieuse et souvent invisible. Malgré les campagnes de sensibilisation et la reconnaissance croissante des enjeux de santé mentale, de nombreux salariés hésitent à s’exprimer sur ce qu’ils vivent.

Cette réticence est alimentée par un mélange complexe de facteurs individuels, sociaux et organisationnels. Comprendre pourquoi cette parole est si difficile à libérer est essentiel pour pouvoir créer des environnements de travail plus sains et plus bienveillants.

Ce silence, loin d’être un signe d’absence de problème, est souvent le symptôme d’une peur profonde, aux conséquences parfois dramatiques.

Dans cet article, nous vous partageons des pistes de réflexions pour aider tous les professionnels à appréhender la souffrance au travail, et trouver des solutions pour aller vers le bien-être au travail.

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Comment définir la souffrance au travail ?

La souffrance au travail ne se résume pas à un simple mal-être passager ou à une mauvaise journée. C’est un état de détresse psychique, physique et/ou émotionnelle, durable et profonde, qui résulte d’une confrontation entre les exigences du travail et les capacités et valeurs du salarié.

Elle naît d’un décalage, d’un conflit entre l’individu et son environnement professionnel, souvent qualifié d’« organisation du travail pathogène ».

Les causes et les dimensions de la souffrance au travail

La souffrance au travail est un concept complexe qui englobe plusieurs facteurs et peut se manifester sous différentes formes

  • Organisationnelles : Il s’agit de la structure même du travail. Cela inclut la surcharge de travail, des délais irréalistes, un manque de clarté dans les missions et les objectifs, ou à l’inverse, l’ennui ou le manque de sens (le « brown-out »). Le sentiment de ne pas avoir les moyens de bien faire son travail, de ne pas pouvoir respecter ses valeurs ou son éthique professionnelle est une source majeure de souffrance.
  • Relationnelles : Les relations avec les collègues et la hiérarchie sont cruciales. Le manque de soutien, l’absence de reconnaissance des efforts fournis, des conflits interpersonnels, un management autoritaire ou des situations de harcèlement moral ou sexuel sont des causes directes de souffrance. Le sentiment d’être traité de manière injuste ou de ne pas être écouté accentue le problème.
  • Physiques et émotionnelles : Le travail peut aussi être source de souffrance physique (douleurs musculo-squelettiques, fatigue chronique) et émotionnelle (épuisement professionnel, anxiété, stress post-traumatique). L’exposition à la violence (verbale ou physique) de la part de clients ou d’usagers est également une cause de souffrance.

Comment se manifeste-t-elle ?

Les signes de la souffrance au travail sont multiples et peuvent toucher différentes sphères de la vie du salarié :

  • Symptômes émotionnels et psychologiques : Anxiété, irritabilité, perte de confiance en soi, sentiment d’impuissance, tristesse, perte de motivation, voire dépression ou idées suicidaires.
  • Symptômes comportementaux : Isolement social, désengagement, difficultés à se concentrer, erreurs répétées, absentéisme (arrêts maladie à répétition), consommation de substances (alcool, tabac, médicaments). Le salarié peut également devenir agressif ou, au contraire, se replier sur lui-même.
  • Symptômes physiques : Troubles du sommeil, maux de tête chroniques, troubles digestifs, tensions musculaires, maladies cardiovasculaires. Le corps exprime ce que l’esprit n’arrive plus à supporter.

Par conséquent, la souffrance au travail est une dégradation de la relation entre le salarié et son métier, souvent enracinée dans un environnement de travail dysfonctionnel. Elle n’est pas une faiblesse individuelle, mais le signal d’alarme d’un problème systémique qui nécessite une prise en charge collective.

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Quelles raisons empêchent les salariés de parler de leur souffrance au travail ?

Il existe de nombreuses raisons, souvent subtiles, qui empêchent les salariés de parler de leur souffrance au travail. Au-delà de la peur du jugement ou des conséquences professionnelles, ces freins sont profondément ancrés dans la culture d’entreprise et les dynamiques sociales.

La peur du jugement des collègues

La dynamique de groupe au sein d’une entreprise est un facteur déterminant. Le lieu de travail est un espace social où la performance et la résilience sont souvent valorisées.

Admettre une souffrance peut être perçu comme un signe de faiblesse, une incapacité à faire face à la pression. Les salariés craignent d’être mis à l’écart, jugés, ou même stigmatisés par leurs pairs. Cette peur du jugement est d’autant plus forte dans les cultures d’entreprise qui prônent la compétition et l’individualisme.

Le sentiment d’isolement est un autre aspect de cette peur. Un salarié en difficulté peut se sentir seul face à son problème, pensant qu’il est le seul à ressentir une telle détresse.

Cette perception, souvent erronée, l’empêche de chercher du soutien auprès de ses collègues, renforçant ainsi son silence. Il est difficile de briser le tabou quand on a l’impression d’être une exception.

La crainte des conséquences professionnelles

Au-delà de la sphère sociale, les craintes professionnelles sont un frein majeur. L’une des peurs les plus répandues est celle de l’impact sur la carrière.

Un salarié peut redouter que son aveu de souffrance soit interprété comme un manque d’engagement ou de productivité, ce qui pourrait compromettre ses chances de promotion ou même le mener à la mise au placard. Dans certains cas, la peur de perdre son emploi est bien réelle, surtout dans les contextes économiques incertains.

Cette crainte est souvent justifiée par l’observation des réactions de l’entreprise face à de telles situations. Si les dirigeants ou les managers ne sont pas formés à la gestion de ces problématiques, la réponse peut être maladroite, voire contre-productive.

Les salariés peuvent avoir l’impression que leur souffrance sera ignorée ou minimisée, ou pire, qu’elle sera utilisée contre eux. Le manque de confiance dans la capacité de la hiérarchie à gérer ces situations de manière éthique et constructive est un obstacle de taille.

Le poids des normes sociales et de la performance

Dans de nombreuses entreprises, l’image du « salarié idéal » est celle d’une personne forte, toujours positive, résiliente et productive. S’exprimer sur sa souffrance va à l’encontre de cette image et peut être perçu comme une défaillance.

Les salariés, en internalisant ces normes de performance et de résilience, peuvent s’auto-censurer, pensant qu’ils devraient être capables de gérer leur mal-être seuls. Ce sentiment d’échec personnel s’ajoute à la souffrance elle-même, rendant la parole d’autant plus difficile à libérer.

Le manque de confiance envers les ressources internes

Même lorsque des dispositifs d’écoute sont mis en place (comme des services de santé au travail, des psychologues ou des cellules d’écoute), les salariés peuvent rester silencieux par manque de confiance.

Ils se demandent si ces dispositifs sont réellement indépendants, si la confidentialité est garantie, et si leurs propos ne remonteront pas à la hiérarchie. Cette méfiance, qu’elle soit fondée ou non, est un obstacle majeur. Les salariés préfèrent ne pas prendre le risque de voir leur situation divulguée ou instrumentalisée.

La banalisation de la souffrance

Dans certains environnements de travail, le stress et la pression sont considérés comme la « norme ». On entend souvent des phrases comme : « C’est le jeu », « On est tous sous pression » ou « Le travail, c’est pas fait pour s’amuser ».

Ce discours banalise la souffrance et la rend invisible. Le salarié qui se sent mal peut alors avoir le sentiment que sa situation n’est pas légitime et que, s’il en parle, il sera perçu comme faible ou comme un « pleurnichard ». Il minimise sa propre détresse, se disant que d’autres vivent la même chose, et qu’il n’y a donc pas lieu d’en parler.

L’isolement et la difficulté à mettre des mots sur le mal-être

La souffrance au travail peut entraîner un isolement progressif. Un salarié en détresse a tendance à se replier sur lui-même, à éviter les interactions sociales pour ne pas avoir à se justifier ou à cacher sa souffrance au travail.

Cet isolement rend d’autant plus difficile la première étape de la parole, qui est de trouver quelqu’un à qui parler. De plus, il n’est pas toujours facile de mettre des mots sur ce que l’on ressent. La souffrance est souvent diffuse et complexe, et le salarié peut ne pas savoir comment l’expliquer ou l’exprimer clairement, ce qui l’amène à garder le silence.

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Quels sont les impacts sur la santé des salariés ?

L’accumulation du stress et de l’anxiété

Le silence a des conséquences directes et profondes sur la santé mentale et physique des salariés. Le fait de ne pas exprimer sa souffrance empêche toute résolution du problème. Le stress, au lieu d’être géré, s’accumule.

Cette accumulation constante peut se manifester par des symptômes physiques (insomnies, troubles digestifs, maux de tête chroniques) et psychologiques (irritabilité, anxiété généralisée, troubles de la concentration).

Le travail devient une source de tension permanente, contaminant la vie personnelle et familiale. L’anxiété peut s’installer durablement, menant à un état de vigilance constante, où le salarié anticipe le pire à chaque nouvelle journée de travail.

Ce cercle vicieux affaiblit la résilience et la capacité à faire face aux défis quotidiens, rendant la situation de plus en plus intenable.

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Le risque de burn-out silencieux

Le silence est un terreau fertile pour le burn-out. Contrairement aux idées reçues, le burn-out n’est pas toujours un effondrement spectaculaire. Il peut être insidieux, s’installant progressivement et silencieusement.

Le salarié, en ne parlant pas, s’enfonce dans l’épuisement émotionnel, physique et mental. La perte de sens, la fatigue chronique et la dépersonnalisation (le sentiment d’être un simple rouage sans humanité) s’installent.

Le risque de burn-out silencieux est particulièrement élevé chez les personnes qui ont tendance à s’isoler et à intérioriser leurs difficultés. Ces individus, souvent très investis dans leur travail, n’osent pas demander de l’aide et continuent à puiser dans leurs réserves jusqu’à l’épuisement total.

Ce processus est d’autant plus dangereux qu’il peut passer inaperçu de l’entourage professionnel et personnel, rendant la prise en charge plus tardive et plus complexe.

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Comment encourager la parole sur la souffrance au travail ?

Identifier les signaux d’alerte

La première étape pour briser ce silence est la prise de conscience collective. Les entreprises, les managers et les collègues doivent apprendre à identifier les signaux d’alerte de la souffrance au travail.

Ces signaux peuvent être subtils : un changement de comportement (isolement, irritabilité), une baisse de productivité inexpliquée, des absences répétées, ou même des signes physiques comme une fatigue visible.

Le rôle des managers est crucial. Ils doivent être formés pour repérer ces signaux, mais aussi pour engager la conversation de manière non-jugeante et empathique.

Il ne s’agit pas de trouver une solution immédiate, mais de montrer à la personne qu’elle est vue, entendue et qu’il est légitime de ne pas aller bien.

Chercher des espaces de confiance pour s’exprimer

Pour que les salariés osent parler, ils ont besoin de savoir qu’il existe des espaces sécurisés pour le faire. Ces espaces peuvent prendre plusieurs formes :

  1. Le médecin du travail : C’est une ressource neutre et confidentielle. Le médecin du travail est tenu au secret professionnel et peut orienter le salarié vers les bonnes ressources ou l’aider à prendre du recul sur sa situation.
  2. Les représentants du personnel : Les délégués du personnel ou les membres du CSE (Comité Social et Économique) sont des interlocuteurs de confiance. Ils sont formés pour écouter et accompagner les salariés dans leurs démarches, tout en protégeant leur anonymat.
  3. Les services de santé au travail ou les psychologues d’entreprise : Certaines entreprises mettent à disposition des services d’écoute ou des psychologues externes pour les salariés. L’accès à ces professionnels doit être facile et confidentiel.
  4. La création d’une culture d’entreprise bienveillante : Au-delà des dispositifs formels, le plus grand levier est la culture d’entreprise elle-même. Les dirigeants doivent montrer l’exemple en valorisant le bien-être, en reconnaissant que la vulnérabilité fait partie de la vie professionnelle et en sanctionnant toute forme de harcèlement ou de mise à l’écart.

Encourager la parole sur la souffrance au travail est un investissement dans le capital humain de l’entreprise. C’est en brisant ce mur de silence que nous pourrons construire des lieux de travail où la santé, le bien-être et la performance ne sont pas mutuellement exclusifs, mais au contraire, se renforcent mutuellement.

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En conclusion, la souffrance au travail n’est pas une fatalité. Le silence qui l’entoure est un phénomène complexe, alimenté par la peur, la honte et la culture d’entreprise.

Mais il est également le reflet d’un besoin urgent de changement. Il est impératif de rompre ce cercle vicieux en créant des environnements de travail où la parole est non seulement autorisée, mais encouragée et valorisée.

Un enjeu de santé, de performance et d’humanité

Briser le silence est un enjeu de santé publique. Les conséquences du stress, du burn-out et de l’anxiété sur les individus et la société sont considérables. Mais c’est aussi un enjeu de performance pour les entreprises. Un salarié qui se sent bien est un salarié plus engagé, plus productif et plus innovant.

Enfin, c’est un enjeu d’humanité. Reconnaître la souffrance au travail, c’est reconnaître l’individu au-delà de sa fonction, c’est affirmer que le bien-être humain est au cœur de toute activité professionnelle.

La responsabilité est partagée :

  • Pour les entreprises, il s’agit de mettre en place des politiques de prévention et de formation, de favoriser un management plus humain et de garantir des espaces de parole sécurisés.
  • Pour les managers, il s’agit d’être à l’écoute, de faire preuve d’empathie et d’être le premier relai pour alerter.
  • Pour les salariés, il s’agit de s’informer, de ne pas s’isoler et de chercher du soutien auprès des personnes et des structures qui peuvent les aider.

En s’attaquant aux racines du problème et en agissant collectivement, nous pouvons transformer le monde du travail en un lieu où la souffrance ne se cache plus et où le bien-être est une priorité partagée.

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